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Approches psychothérapiques de l’autisme

vendredi 17 avril 2015, par Solène Caron

Approches psychothérapiques de l’autisme.

Résultats préliminaires à partir de 50 études intensives de cas.

(J.-M. Thurin, M. Thurin, D. Cohen, B. Falissard)

- Résumé par S. Caron

Cette étude s’inscrit « dans les nouvelles perspectives de la recherche en psychothérapie : développer des études évaluatives en milieu naturel réunissant cliniciens et chercheurs, qui associent les dimensions qualitative et quantitative, traitent des questions cliniques, et permettent d’étendre les connaissances dans le champ avec des retombées sur les pratiques. Trois questions sont au centre de ce programme : pourquoi (les déterminants), comment (les mécanismes) et dans quelles conditions (le contexte) une psychothérapie conduit-elle à des changements favorables ?

Ces questions sont traitées dans le cadre d’un réseau de recherches fondées sur les pratiques à partir de l’étude intensive de cas individuels, secondairement réunis et comparés. La méthodologie est innovante non seulement dans ses objectifs, mais dans sa conception. Elle associe, à une formulation de cas structurée initiale et finale, des instruments quantitatifs décrivant les changements manifestes et le processus interne de chaque psychothérapie à partir de plusieurs approches. Il en est attendu une mise en relation des résultats avec les médiateurs potentiels de changement issus de l’analyse des éléments saillants du processus de la psychothérapie, et avec les modérateurs qui en constituent le contexte. Fortement recommandée dans de nombreux articles et soutenue directement par au moins 2 publications (Pragmatic Case Studies et Psychotherapy), l’application de cette méthodologie comportait plusieurs difficultés potentielles qui ont pu être pour l’essentiel résolues ».

La recherche en psychothérapie évaluative s’est donc recentrée ces dernières années sur ces questions : « Pourquoi, comment, et dans quelles conditions une psychothérapie agit-elle ? »

Deux récents articles « constatent qu’il n’y a pas d’accord dans le champ sur ce qui constitue […] un traitement efficace pour l’ensemble des personnes souffrant d’autisme. »

Ainsi, les auteurs mettent en avant, au delà de leurs apports, les limites des études relevant de l’evidence-based practice  :

« La limitation des interventions à celles dont les objectifs sont faciles à mesurer au détriment de la qualité de vie, l’adaptation à la communauté et les relations intra-personnelles.

L’inadaptation des manuels globaux d’intervention à la population à la fois hétérogène et étendue que recouvre le diagnostic d’autisme

Le caractère ni approprié ni adapté des essais contrôlés randomisés pour déterminer quels sont les éléments, parmi les multiples composants de traitement globaux, qui interviennent sur les déficits nombreux et reliés entre eux que l’on rencontre dans cette population

Le caractère très relatif des conclusions des revues de recherche qui varient selon les auteurs et ne semblent pas exemptes de subjectivités. »

Dès lors, les auteurs soulignent l’intérêt des protocoles de cas individuels (single-case designs) et de la recherche qualitative concernant ce domaine. La question se déplace donc d’un « qu’est-ce qui marche » à « pourquoi, comment, pour qui, dans quelles conditions et quand ? » cela marche, passant d’une méthode valable pour tous au cas par cas, en « personnalisant les interventions cognitives et psychosociales », prônant ainsi une approche centrée sur la personne.

Le Réseau de Recherche Fondées sur les Pratiques Psychothérapiques consacre un de ses pôles à l’autisme, et propose dans ce cadre les résultats préliminaires d’une études basée sur 50 cas regroupés.

Méthodologie générale :

« Il s’agit d’études naturalistes de cas réalisées suivant un protocole d’étude individuelle de cas durant une durée d’un an. […] l’étude de cas porte sur les changements survenus chez l’enfant mais également sur le processus interne de psychothérapie qui les sous-tend, c’est à dire ce qui caractérise le patient et ses problème, le thérapeute et sa technique, et leur interaction au cours de la thérapie. […] L’objectif est la recherche d’une association entre les caractéristiques de processus et les changements observés. »

Dix variables sont également prises en compte telles que l’Histoire (événements marquants), le soutien familial,les comorbidités psychiques et/ou somatiques, la scolarisation...

Les patients :

Les enfants doivent avoir reçu un diagnostic primaire d’autisme et/ou de T.E.D. selon la CIM-10.

Le groupe de 50 enfants est constitué de 7 filles et 43 garçons et coupé en deux sous groupes : les enfants ayant entre 3 et 6 ans, et les enfants ayant entre 7 et 15 ans.

Les thérapeutes :

Sur les 50 thérapeutes, on recense 46 psychiatres ou psychologues, 2 psychomotriciens, 1 psychothérapeute et 1 psychologue-psychomotricien. 41 de ces thérapeutes sont de référence analytique, 5 sont de référence cognitivo-comportementale, 3 de référence psychomotrice et 1 se réfère à la thérapie par le jeu. 27 exercent en libéral, 21 en institution, et 2 ont un exercice mixte.

Chacun a reçu une formation conséquente dans son domaine et possède plusieurs années d’expérience.

« La consigne générale donnée aux cliniciens est de ne pas modifier leur pratique psychothérapique. »


Instruments d’évaluation :

Une première « baseline » est réalisée à partir de 3 rencontres successives afin de « […] situer l’enfant dans son contexte et d’observer la stabilité de son état ».

L’évaluation des changements chez l’enfant a été réalisée à partir de trois critères principaux : la réduction comportements autistiques ; les gains fonctionnels et développementaux accompagnant la réduction de la pathologie autistique ; son fonctionnement psychique dans le cadre propre de la psychothérapie.

L’Échelle d’Évaluation Psychodynamique des Changements dans l’Autisme, quant à elle, évalue notamment le regard, l’image du corps, le langage verbal, les manifestations agressives...


Description de l’échantillon :

« Concernant le langage, il est décrit comme absent chez 16 % des enfants, pauvre ou avec une expression limitée chez 10 %. Quatre (8 %) enfants ont un retard de langage, 10 (20 %) des problèmes de langage spécifiques (absence de langage partagé, difficulté d’élocution. . .). Un enfant est repéré comme ayant un langage au dessus de la norme (2 %). Quatre enfants enfin ont des troubles du langage sans précision (8 %).

Les cliniciens signalent que :

11 enfants ont des difficultés avec les pairs,

16 enfants ont des troubles du contact visuel (évitement du regard, pas de contact du regard, pauvreté du regard adressé, non spécifié),

12 enfants ont une difficulté de contact avec les autres (socialisation difficile, socialisation sélective, non spécifiée),

14 enfants ont des troubles importants de communication et relationnels.

Un enfant est signalé n’avoir aucun échange.

Vingt-sept enfants sont décrits comme intolérants à la frustration avec manifestations de colères, crises ou pleurs (54 %), pour 4 enfants seulement les cliniciens ont signalé de fortes réactions à la séparation (8 %), 5 enfants ont une contenance insuffisante (10 %), 7 enfants ont un déficit ou une instabilité émotionnelle (14 %). »


Les objectifs :

Ils se situent à 4 niveaux :

communication/interaction, intolérance à la frustration, construction du soi et acquisitions.

Les résultats :

Les deux sous-groupes d’âges ont été distingués dans les résultats, et si l’évolution positive est moins marquée chez les 7-15 ans, elle reste bien présente dans les deux sous groupes. Quelque soit les échelles d’évaluation, on constate globalement une amélioration de l’état des enfants. Les résultats montrent que les comportements autistiques se réduisent progressivement, le score de déficience relationnelle se réduit tout comme celui du déficit de modulation des émotions. Le score d’Expression et de défenses affectives augmente, tout comme celui des Relations au monde et aux autres.

Il est à noter que certaines aptitudes évaluées « concernent directement un repère ou une transformation ayant une fonction pivot pour l’enfant et son entourage », comme par exemple : la recherche de vrais échanges relationnels ; la propreté sphinctérienne ; le stade du miroir ; la quasi-disparition des stéréotypies et l’apparition jeux symboliques ; la notion d’écoulement du temps ainsi qu’une meilleure tolérance à la séparation.

« Les acquisitions les plus difficiles à acquérir dans le groupe d’enfants sont, d’une part, la disparition des stéréotypies et l’apparition du jeu symbolique et, d’autre part, la notion du temps linéaire et la tolérance à la séparation. En revanche, la recherche de vrais échanges, le langage et le graphisme sont celles qui ont évolué le mieux dans [le] groupe de patients. »

Le point relevé comme majeur par les auteurs est le constat que « l’approche psychothérapique mise en œuvre par le thérapeute dépend pour une part importante – et peut-être complètement – des possibilités qui lui sont offertes ou non par le fonctionnement de l’enfant, quelle que soit l’approche de référence ».

Les items semblent privilégier le rapport aux autres et au monde (lien aux autres, niveau d’angoisse, conflits, conscience des sentiments...) plus que l’acquisition de tel ou tel apprentissage. Il s’agit effectivement d’évaluer les effets d’une psychothérapie et non pas les effets d’une technique éducative ou pédagogique. Néanmoins, d’autres prises en charge pouvant interférer dans l’interprétation des résultats, cette variable a été prise en compte :

« Pour préciser ce point, il a été demandé aux cliniciens de compléter les éventuelles « interventions » qui accompagnaient la psychothérapie : orthophonie, psychomotricité, prise en charge ABA, éducative, ateliers pédagogiques ou activités extérieures et la scolarisation. [Les auteurs ont] également demandé comment l’enfant était suivi en dehors de la psychothérapie (pédiatre, pédopsychiatre).

L’hétérogénéité des « interventions » dans le groupe d’enfants ne permet pas de conclure que les effets puissent être attribués à ces éléments en dehors de la psychothérapie. Les prises en charge psychomotrice et orthophonique ne sont pas systématiques (moins de la moitié des cas). Les activités en atelier sont extrêmement diverses dans leur support et leur rythme. Plusieurs cas ne bénéficient d’aucune autre intervention que la psychothérapie.

De façon générale, les deux éléments qui restent stables sont la psychothérapie et l’insertion scolaire. Mais l’intégration à l’école est elle-même également assez hétérogène puisque 11 enfants sur 50 vont à l’école « ordinaire ». Les autres la fréquentent à temps partiel ou à plein temps, mais avec une aide de vie scolaire (AVS) ou dans un cadre spécialisé ».

Dans cette étude, « 80 % des thérapies étudiées ont été menées par des thérapeutes expérimentés d’orientation psychanalytique, et pour 1/4 de thérapeutes d’orientation cognitivo-comportementale et psychomotrice. Un premier résultat a été de montrer qu’il était possible de mener des études sur les psychothérapies dans le champ avec des cliniciens de référence théorique différente à partir du moment où l’on s’écarte des évaluations « par marques » et que l’on se rapproche de questions cliniques non disjointes de la recherche générale comme celles des déterminants et des mécanismes de changement. 

La réunion des 50 premiers cas montre que la psychothérapie […] est associée à des changements significatifs. Ces changements concernent les comportements autistiques (qui se réduisent), le développement (qui s’exprime statistiquement et cliniquement, notamment par des gains d’aptitudes), et le fonctionnement intrapsychique (qui se traduit par une réduction des réponses émotionnelles et une facilitation de la relation au monde et aux autres). Ainsi, les enfants n’ont pas seulement réduit leurs symptômes et acquis des fonctionnalités, ils ont aussi accru leur sentiment de sécurité intérieure et amélioré leur représentation du monde et des autres, ce qui augure d’une capacité croissante de faire face à des stress courants.

[Les auteurs constatent] parallèlement une quasi-disparition des stéréotypies chez 27 enfants (ils étaient 16 à T0) et une meilleure tolérance à la séparation chez 23 enfants (ils étaient 9 à T0). Dix-neuf enfants ont un score d’insight positif ce qui veut dire concrètement qu’il leur est désormais possible d’aller vers une compréhension d’eux-mêmes et de leurs problèmes.

[…] cette étude retrouve également que des évolutions importantes et rapides peuvent se réaliser chez les enfants de 3 à 6 ans et l’on peut faire l’hypothèse que les enfants les plus jeunes pris en charge précocement parviennent plus rapidement à des évolutions que des enfants plus âgés n’ont pas atteintes au moment du début de leur psychothérapie. Ce résultat est une constante dans la littérature et légitime les recommandations de diagnostic et prise en charge précoces. »

Pour conclure, les auteurs rappellent les cinq questions qui les guident dans leurs recherches :

• Quels sont, dans le traitement global, les aspects nécessaires, suffisant ou facilitant pour le changement thérapeutique ?

• Quelles modifications du traitement peuvent être faites pour augmenter son efficacité réelle ?

• Quelles procédures ou techniques peuvent être ajoutées au traitement pour le rendre plus efficace ?

• Quel est le traitement le plus efficace parmi un ensemble particulier d’alternatives ?

• Quelles sont les caractéristiques du patient qui interagissent avec les effets du traitement ? Ou, pour qui une technique particulière est-elle efficace ou plus efficace ?


Approches psychothérapiques de l’autisme.

Résultats préliminaires à partir de 50 études intensives de cas.

(J.-M. Thurin, M. Thurin, D. Cohen, B. Falissard)

http://www.isir.upmc.fr/files/2014ACLN3103.pdf

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